Une résidente de Bos Darnis témoigne sur son handicap
Lors de ce témoignage de vie, trois thèmes vont être abordés :
- Les relations avec les autres
- La vision du handicap
- Le jour J de la nouvelle et compréhension du syndrome Prader Willi
Ce témoignage de vie a été élaboré lors d’entretiens individuels avec la psychologue et la résidente à la demande de cette dernière.
Les conversations ont parfois été regroupées pour être associées ; davantage de questions ont été posées. Il semblait intéressant de procéder ainsi afin de limiter le nombre de pages.
Nous choisirons de nommer S, qui est atteinte d’un problème au gène de la paire 12. Un syndrome apparenté au syndrome Prader Willi.
S est actuellement dans un foyer de vie et participe aux activités proposées par les ateliers. Aujourd’hui, après un parcours hospitalier, elle a sa place dans le foyer dans lequel elle se sent bien accompagnée.
S est ravi de vous présenter son témoignage de vie.
- Comment cela se passait pour quand vous étiez bébé ? Est-ce que vous pouvez nous dire ce que repéraient vos parents à ce tout jeune âge ?
J’étais un bébé qui pleurait beaucoup les nuits ; je pleurais parce qu’on pensait que j’étais très angoissée. L’apprentissage par rapport à la nourriture a été très long. La prise du sein a été très longue car je n’avais pas le réflexe de succion.
J’étais très « molle », mon corps avait du mal à se tenir. Je n’avais pas de tonus. L’apprentissage de la marche a été long.
Je n’avais pas beaucoup de mots et j’ai donc vu des orthophonistes.
Mes parents sont allés à Paris faire des recherches, mais ils n’ont pas cherché plus que ça. Ils m’ont diagnostiqué trisomique. C’est « fou » les médecins devraient se taire s’ils ne savent pas. Ils disaient « votre fille ne marchera pas, ne fera pas de vélo » alors que j’en ai eu la capacité. Quand mes parents l’ont su, ils m’ont dit qu’ils ont accepté qui j’étais et mon handicap. Mais des fois, j’avais des doutes que ce soit mes vrais parents. Alors, une fois, quand j’ai vu une psychologue la question s’est posée et mes parents m’ont dit que j’étais bien leur fille. Pendant toutes ces années, ils ont cru que j’étais trisomique. Puis lors d’une émission à la radio, un jour, ma mère a vu qu’il existait le syndrome Prader Willi et c’est de là qu’on a fait les tests et qu’on a vu que j’avais un problème génétique.
I- RELATIONS AVEC LES AUTRES
- Comment la relation à l’autre s’est passée quand vous étiez enfant ? Quelle était la relation avec votre frère et votre sœur?
C’était difficile, il y a eu des situations où j’étais un peu violente. Des fois, on se chamaillait et je faisais tout pour faire punir mon frère et ma sœur. Je n’étais pas méchante mais bon.
- Comment ont-ils réagi ?
Pas très bien, car je demandais beaucoup d’attention et ils ne le vivaient pas bien.
- Comment est-ce que ça s’est passé pour vous à l’école ?
J’étais en classe de rattrapage en session maternelle. Je sais lire, je sais compter, je sais écrire.
- Et avec les autres ?
C’était très difficile ; j’étais beaucoup à l’écart, j’étais toute seule. Les gens pouvaient parfois être très méchants. Je me souviens d’une scène au collège : j’étais dans la cours de récré puis d’un coup, il y a un garçon qui m’a bousculée. Je suis tombée à la renverse. Je n’avais pas beaucoup d’équilibre et j’avais un œuf à la tête. Il ne m’a même pas relevée.
Et puis au collège, j’avais 18 ans, on me disait ce n’est pas vrai « pourquoi es-tu là ? ». Je répondais « Je suis là parce que j’ai des difficultés et je veux apprendre certaines choses ». Et des fois, c’était des moqueries méchantes. Je n’ai pas eu d’ami.
Seules les personnes qui étaient en SEGPA avec moi étaient sympas. Y’avait des gens en difficulté aussi et moi aussi donc ça faisait du bien.
- Et les professeurs ?
Ils étaient très gentils. Y‘a même des professeurs qui me prenaient dans leur classe pour prendre un moment de répit. J’étais encadrée, j’adorais les professeurs.
- Qu’est-ce que vous en ressentiez quand les élèves n’étaient pas sympas ?
Très triste. Seule, j’étais mise à part. (Larmes aux yeux)
- Ils étaient dans une forme de rejet envers vous car ils voyaient que votre corps était différent ; vous semblez toujours vivre une forme de colère contre ces gens-là et être encore triste de cette situation.
Oui, oui. (Larmes aux yeux)
- Qu’est ce qui était le plus dur par rapport à l’autre ?
Le fait de ne pas être comprise et pas vue comme j’étais. Ça c’était difficile par rapport à l’autre. Aujourd’hui, c’est plus facile de supporter le jugement de l’autre ; j’entends d’une oreille et ça ressort de l’autre. Ça passe avec le temps.
- Vous avez encore des liens avec les personnes de votre passé?
Oui, j’ai encore un contact avec une éducatrice. Elle m’a aidée dans une situation qui était très, très difficile. Elle était attentive et compréhensive par rapport à moi. Il y a surtout une situation où je la remercie d’être avec moi car c’était horrible mais horrible. (Larmes aux yeux). Je ne veux pas en parler. On peut s’arrêter là.
II- LA VISION DU HANDICAP
- C’est quoi pour vous ce handicap ?
Le handicap, c’est ce que je vis. J’arrive à moins me dire « voilà je m’en veux d’être comme ça ». Je suis comme ça.
- Vous étiez en colère après le handicap et aujourd’hui vous êtes moins en colère contre vous ?
Oui, c’est un chemin et on ressent moins de colère. Avant je ne l’acceptais pas et maintenant je suis comme ça et je ne dois pas punir mon corps d’être comme ça. (S a parfois des comportements d’automutilation). Je suis belle comme fille, je trouve. J’ai des formes mais écoute c’est comme ça. Je m’accepte beaucoup plus comme je suis. Chacun a ses difficultés et chacun est comme il est ; je n’ai plus à me juger. Si on va dans le jugement, on va toujours dans le jugement, c’est un engrenage, tout le temps, tout le temps, tout le temps !
III- LE JOUR J de la NOUVELLE et COMPREHENSION DU SYNDROME
A 18 ans, votre maman a découvert lors d’une émission à la radio qu’il existait un syndrome nommé Prader Willi qui ressemblait à ce que vous vivez. C’est ainsi que vous avez fait des examens complémentaires par rapport à votre pathologie et c’est là qu’on a découvert une anomalie dans un gène de la paire 12, une anomalie qui est proche de Prader Willi ?
Oui, c’est ça.
- Comment avez-vous réagi quand vous l’avez appris ?
Je me suis mise à pleurer. On était à une terrasse de café avec mes parents. Ils m’ont demandée comment je le vivais et j’ai pleuré. C’était dur de le savoir, maintenant que je savais ce que j’avais c’était dur.
- Et que vous ont dit vos parents ? Qu’est-ce que vous en avez compris?
J’ai compris qu’il y avait un gène et je comprends pourquoi je réagissais comme ça maintenant.
- Quelles sont les symptômes pour vous de votre pathologie ? (Guidance car difficile de répondre) On a déjà parlé de vos émotions, qu’en comprenez-vous aujourd’hui ?
Les émotions, ce n’est pas pareil. C’est très vif. Ça part d’un coup et après j’arrive à ré apaiser la chose. On peut demander aux professionnels de nous aider, de dire « bon là ça ne va pas ». Ce besoin de parler c’est intense. Des fois c’est court, je peux me mettre à pleurer et d’un coup ça repart. Ça va mieux.
- Quand vous ressentez une émotion, que ressentez-vous dans votre corps ? (travail qui a déjà été fait afin de comprendre comment cela fonctionne pour elle)
Je suis très tendue et puis je sens que je vais exploser. Je sens que dedans ça bouillonne et là je me dis « houlalala », « Stop, stop, stop » ; on essaie de ne pas trop se laisser mener par l’angoisse.
Avant, c’était très intense, je passais des nuits entières à pleurer. Mes parents ne comprenaient pas. Ils ne comprenaient pas pourquoi je demandais sans arrêt des caresses, ils me disaient « tu luttais contre le sommeil », « tu ne voulais pas te coucher ». Enfant, c’était très fort. Il fallait dire que ça n’allait pas du tout et j’avais ce besoin de pleurer.
Et adolescente ?
Je ne comprenais pas trop c’est seulement quand j’ai découvert le syndrome que j’ai compris que les émotions ce n’était pas pareil.
- Dans ce syndrome quelles sont les autres difficultés que vous pouvez vivre ?
L’alimentation, ça c’est très fort.
- Comment est la sensation de faim ? (question possible car déjà évoquée dans nos discussions)
On n’est jamais rassasié même quand on mange. Petite, je prenais les paquets de gâteaux dans le placard, je mangeais tout et faisais accuser mon frère et ma sœur.
- Et après, avez-vous la sensation de culpabilité ? (guidance)
Oui, on se dit qu’on n’aurait pas dû s’empiffrer. C’est une lutte constante. On essaie de ne pas trop déborder. Plus jeune, je ne comprenais pas pourquoi j’avais besoin de manger.
- Comment réagissait votre maman pour essayer de vous accompagner ?
Elle n’achetait pas trop de nourriture pour éviter les craquages. Ça m’aidait mais c’était dur à la fois. Dès qu’elle avait le dos tourné, j’allais manger.
- Qu’est-ce qui vous aide le plus dans la façon dont vous êtes accompagnée ?
C’est de dire « non, stop ». On essaie de réguler un peu. Même si c’est dur je préfère que ce soit comme ça. Plutôt que de trop manger et de pas se sentir bien et coupable. J’ai peur de prendre du poids car nos os sont plus fragiles. Si on prend du poids, je peux me retrouver en fauteuil roulant. Je ne veux pas. C’est la peur d’être handicapée. Je n’ai pas besoin de déformer mon corps complètement. C’est le plus difficile la nourriture. Ça occupe beaucoup les pensées, c’est toute la journée.
- Avez-vous une obsession, c’est-à-dire y penser tout le temps ?
Je me cache pour manger.
- Qu’est-ce qui vous aide le plus ?
C’est de savoir que les cuisines sont fermées et qu’il y a une quantité gérée et de se dire « stop ».
- Est-ce que vous vous cachez encore pour manger ? (guidance)
C’est pulsionnel quand je mange.
- Qu’est-ce qui vous a aidé par rapport à la nourriture ?
D’aller à Hendaye (centre spécialisé pour ce syndrome) par rapport au syndrome, ça m’a beaucoup aidé. J’ai vu une diététicienne tout. Elle m’a expliquée comment manger équilibré et essayer de gérer ça. Quand je suis à Hendaye, j’arrive quand même à gérer mes pulsions alimentaires. Ce qui m’aide beaucoup quand je suis à Hendaye c’est qu’il y a des personnes qui ont le même syndrome que moi. Ça nous aide de voir que tout le monde a la même nourriture que nous car on a le même syndrome. Par exemple, on a deux parts de légume pour éviter la frustration à côté. On mange plus de fruits et légumes et pas de sucre. Tout est calculé par rapport à notre syndrome. On n’a pas la possibilité de grignoter. On mange plus en quantité mais plus sain. Par rapport à ici (la Résidence Bos Darnis), on est servi à l’assiette ; on n’a pas non plus trop à se plaindre. Quand c’est carré, ça aide.
- Est-ce qu’il y a d’autres choses dans votre pathologie ?
On est plus fatigué que les autres. On n’a pas la même taille que les autres personnes, pas les mêmes traits vieillissants que les autres. Quand on demande mon âge, on m’en donne beaucoup moins. On n’a pas le même vieillissement. Je le vis bien. Je fais plus jeune. (elle rit)
- Il y a aussi des moments où il y a ce qu’on appelle des troubles du comportement, par exemple il vous arrive parfois de vous mutiler (avec un stylo, brulure) ? (Guidance sur l’automutilation)
Oui.
- Que ressentez-vous dans votre corps quand vous avez envie de vous mutiler ? (guidance car discussion à ce sujet)
Mon angoisse, quand je me mutile, c’est de me dire que ce n’est pas de ma faute, c’est mon handicap qui fait ça. C’est une forme de pulsion : ça bouillonne, ça bouillonne et ça explose et puis après vient la culpabilité, « il ne faut pas, tout va bien. »
- Par rapport à tout ce comportement qu’est-ce qui vous a aidé ?
De m’expliquer, ça m’a fait du bien et de se dire ce n’est pas de ma faute, c’est le corps.
- D’autres choses ? Comment on fait avec les symptômes ? Comment vous avez pu apprendre à faire avec ?
J’ai appris à ne pas lutter. Il faut laisser faire et puis après ça passe souvent. Et maintenant, il y a moins de bas que de haut. La vie continue. En ce moment, la mer est calme et y’a pas de vague. Etre entourée aide aussi à s’apaiser en me parlant, en me disant qu’ils sont là, que je ne suis pas toute seule. Il y a aussi Hendaye qui m’a aidée. On est suivi par une psychologue qui fait de l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing). On suit le doigt, ça va vite. Ça programme le cerveau autrement. Ça aide d’être suivie. Ça aide de lâcher prise à l’émotion. Y a une émotion, faut se laisser aller, si ça vient, ça vient. Ça vient très vite, et ça repart très vite.
- Y a-t-il d’autres techniques qui peuvent vous apaiser ?
Le chant, la danse, un bon suivi au niveau des médicaments.
- On a également fait un travail pour essayer de comprendre comment vous fonctionnez, comment fonctionne votre monde émotionnel et c’est de là que j’en ai aussi découvert votre sensibilité et toutes vos capacités notamment votre capacité d’empathie ? (guidance)
Je sens quand quelqu’un ne va pas bien, je le ressens. Il faut que j’en parle à un professionnel. Je ressens vraiment ce qu’ils ressentent profondément.
- Vous ressentez ce que ressent l’autre, ou vous imaginez que dans sa situation il est possible qu’il ressente certaines choses ?
Non, non Je ressens les émotions des uns et des autres ! Quand il ne va pas bien, je le ressens grave. J’en parle à un professionnel pour qu’on l’aide, ce n’est pas de mon niveau à moi. Je n’ai pas de mal à aller vers les autres. Je recherche plutôt l’autre.
- Qu’est-ce que vous diriez à une personne qui vit la même pathologie que vous ?
Je lui dirai que la vie est quand même belle, qu’il faut essayer d’avancer, que c’est possible. Le regard de l’autre n’est pas si important, qu’il essaie de vivre comme il est.